24 juil. 2012

Chapitre 5 : Famille et ami


Ethan réussit à me calmer. Mon cœur battit de nouveau de manière régulière, et cessa de tambouriner douloureusement dans ma poitrine. Ethan était mon frère… Je devais me faire à cette idée. Nous passâmes le reste de la journée à parler de lui, de moi, de son enfance dans ce monde auquel j’appartenais finalement, de mon enfance dans un monde où je m’étais toujours sentie à part. Si de mon côté j’avais été choyée par mes parents adoptifs, de son côté, mon frère avait nettement moins profité d’une jeunesse heureuse. Elevé d’abord par Valérian qui le considéra comme son propre fils, Ethan fut chassé du château lorsqu’il décida d’enfreindre le règlement et de me filer, pour surveiller le moindre de mes faits et gestes et faire en sorte qu’il ne m’arrive rien. Valérian prit cette rébellion pour une trahison, et coupa tout contact entre eux.

Ethan et moi étions à présent assis confortablement dans les rocking-chairs, une tasse de thé fumant entre nos mains, et mon frère me racontait comment il avait rencontré Nómin, le sage du peuple elfique.

- C’était au mois de novembre il me semble, la neige recouvrait déjà la forêt. Je venais de trouver cette cabane abandonnée. Un coup de chance. J’avais froid et très soif. Je comptais m’abriter ici pour la nuit, après avoir bu le sang d’un lapin qui passait par là, et retourner à ta surveillance dès le lendemain matin. J’avais à peine poussé la porte que ce vieux barbu de Nómin me plaquait au sol, la pointe d’un glaive posée contre mon cœur. Je n’avais pas vu que j’avais quitté le territoire des hybrides… J’ai eu beaucoup de mal à le calmer et à me faire entendre. Il me regardait avec des yeux exorbités, comme si j'avais été un monstre ! C'est vrai, j'aurai pu le tuer si j’avais voulu, il était bien moins fort que moi, mais je ne voulais pas me faire d’ennemi, et ce vieillard ne m’avait rien fait, du moins pas avant ce moment-là. Il s’est quand même décidé à me lâcher quand je lui ai appris mon prénom. Il m’a dit « je sais qui tu es ! », et après m’avoir aidé à me lever, il m’a raconté la prophétie… Celle dont Valérian t’a sûrement parlé.

J’acquiesçai d’un mouvement de tête, le regard fixé sur une petite bougie disposée près de la fenêtre. Sa flamme vacillait, m’hypnotisant lentement.

- C’est donc Nómin qui t’as autorisé à t’installer sur le territoire elfique ? demandais-je.

- Oui, il a voulu m’aider. Il a fait en sorte qu’aucun elfe ne vienne dans cette partie de la forêt. Je ne sais pas comment il s’y est pris, mais je n’ai jamais croisé personne. Nómin savait qu’un jour tu reviendrais ici, et que ce jour-là il nous faudrait un endroit où nous réfugier en cas de problème. Et des problèmes, nous risquons d’en avoir…

Je lâchai la bougie des yeux, posant brusquement ma vision sur mon frère. 

- Quel genre de problèmes ? Les elfes ?

Ethan hocha la tête sans ajouter un mot. Puis il se leva, et se dirigea vers le fond de la pièce. Il s’agenouilla au pied du lit, et sortit une grosse malle de sous la couche. J’observai mon frère en silence. Son corps se raidit, il sembla mal à l’aise. Il ouvrit alors le coffre, et fouilla dedans quelques secondes avant d’en sortir un cadre. Sûrement une photo. Il revint ensuite vers moi, et me tendit le cliché. En découvrant les visages sur la photographie, je retins un cri de stupeur. Ethan reprit sa place sur son fauteuil et se frotta le visage de ses mains.

- Ethan, ce sont nos… parents ?

Il me sourit. Je posai à nouveau mes yeux sur mes parents, figés à tout jamais sur une image.

- Facile de deviner à qui tu ressembles, pas vrai ?

Je caressai le papier glacé du bout du doigt tout en retenant les larmes qui menaçaient d’inonder mon visage. J’étais la réplique exacte de ma mère.

- C’est pour cette raison que nous risquons d’avoir des problèmes. Les elfes connaissent la prophétie. Ils ont connu nos parents. Ils te reconnaitront…

J’allai répondre lorsqu’un coup sec frappa contre la porte de la cabane. Mon corps fut parcouru d’un frisson et je me senti tout à coup étourdie. Ethan se leva à la vitesse de l’éclair, et posa une main rassurante sur mon épaule.

- Pas de panique, ce n’est que Nómin. Je l’ai prévenu de ta présence. C’est le seul en qui nous puissions avoir confiance. Entre Nómin !

La porte s’ouvrit et laissa apparaître un vieil homme de grande taille, portant une simple toge claire. Sa longue barbe blanche lui arrivait à la taille, et ses yeux bleus, quant à eux, étaient bordés de petites ridules qui rendaient son visage bienveillant.

- Bien le bonsoir, jeunes gens !

Nómin salua mon frère d’un signe de tête, et se dirigea directement vers moi. Il m’attrapa la main et le contact de sa peau douce et chaude m’apaisa immédiatement.

- Abigaïl… Tu es tout le portrait de ta mère. C’est impressionnant…

Ethan rapprocha le fauteuil du vieux sage, et l’invita à s’assoir. Je ne lâchai pas Nómin des yeux. Lui, semblait pris dans une profonde réflexion. Etrange approche. Son visage se crispa soudain. Il ferma les yeux, et murmura rapidement des paroles toutes plus confuses les unes que les autres.

- Euh… Nómin ? Est-ce que ça va ?

Il ne réagit pas. J’attendis alors, anxieuse, qu’il reprenne ses esprits.  Ethan était à mes côtés, l’air grave. Je l’interrogeai du regard, mais n’obtins aucune réponse. Nómin lâcha finalement ma main et tourna son regard pour ne s’adresser qu’à mon frère. Ils semblaient échanger à travers leur esprit, m’isolant totalement de la conversation. Leur discussion dura de longues minutes pendant lesquelles j'observais tour à tour les deux individus. Cet entretien semi-privé me dérangeait au plus haut point. Je détestais que l'on me cache des choses. Stressée, je ne pus me retenir plus longtemps et rompis le silence.

- Quoi ? Qu’est ce qui se passe ?

Ethan me jeta un coup d’œil discret et, gêné, se leva pour me tourner le dos.

- Abby, j’espère que tu apprends vite, parce que nous n’avons pas beaucoup de temps.

Je ne compris pas. De quoi parlait-il ? Des elfes encore ? Ou d'autre chose ?

- Oublie les elfes. Il va falloir que tu te concentres sur ton apprentissage. Tu es une hybride, mais tu as tout à apprendre, on commence demain matin. Ce soir, tu te reposes. Demain, dès l’aube, Nómin reviendra pour t’apprendre les bases.

Ethan débitait ces mots en faisant les cent pas dans l’unique pièce de la maison. Je voulu lui parler, mais le sage posa sa main sur mon bras pour me dissuader d’interrompre mon frère.

- « Laisse-lui un peu de temps, il t’expliquera tout plus tard. »

Je poussai un cri. Je venais d’entendre la voix du vieillard dans ma tête. C’était une sensation bizarre, comme s’il venait de prendre possession de mon esprit, sans me demander mon avis.

- Comment faites-vous ça ? lui demandais-je à la fois curieuse et troublée.

- Je te l’apprendrai bien assez tôt, mon enfant. Je dois y aller, je ne suis venu que pour informer Ethan de certaines choses et te rencontrer enfin. Je serai de retour demain. Reposez-vous bien, un entraînement intensif nous attend.

Nómin se dirigea vers la sortie et après un dernier « au revoir » il disparut dans la nuit noire. Ethan verrouilla la porte derrière son ami, et se saisit de sa tasse de thé (froid) qu’il descendit d’un trait. Puis il retourna près du lit, sortit une couverture de sa malle encore ouverte, et me fit signe de le rejoindre.

- Essaye de dormir profondément. Tu vas avoir besoin de beaucoup d’énergie demain…

Il m’embrassa sur le front et s’assit sur le bord du lit pendant que je m’installai sous les couvertures. Ethan avait manifestement décidé de veiller sur moi, jusque dans mon sommeil. Mon cerveau croulait sous les questions que je mourrais d’envie de lui poser. Il y en avait tant…

- Alors commence par celles qui te viennent.

Il recommençait à pénétrer dans mon esprit, je n’étais pas vraiment contente de me sentir ainsi « violée » dans ma propre tête, et je poussai un soupir exaspéré.

- Pardon… Mais j’ai moi aussi beaucoup de questions, et après avoir passé tout ce temps loin de toi, je ne veux pas en perdre une miette. Cela dit, tu seras bientôt capable de fermer ton esprit à toute intrusion… Enfin, vas-y, qu’est-ce que tu veux savoir ?

Je fus contente d’apprendre que bientôt mes pensées resteraient miennes, mais pour l’heure, je dû faire un choix. Isoler toutes mes questions pour n’en choisir qu’une.

- Comment s’appelaient nos parents ?

- Papa s’appelait Elros et maman Moïra.

Je gravai ces deux prénoms dans ma mémoire, et les associai aux personnes sur la photo que je tenais toujours dans ma main.

- Autre chose ?

Evidemment. J’avais constaté une grande différence entre mon frère et moi. Lui avait la peau glacée, il se déplaçait rapidement, se nourrissait de sang, tandis que moi, je n’étais qu’une humaine. Rien de plus, rien de moins.

- Toutes ces différences entre nous… Comment… Pourquoi ? Si je suis une hybride, pourquoi je ne te ressemble pas davantage ?

Ethan sourit, visiblement amusé de ma question.

- Je ne trouve pas ça drôle ! répondis-je, vexée.

- Tu as quitté le monde magique très jeune, Abby. Ton corps s’est modifié rapidement, pour s’adapter dans l’autre univers. Maintenant que tu es ici, tu vas redevenir une véritable hybride. Tiens, regarde.

Il déboutonna quelques boutons de sa chemise et ôta de son cou un médaillon que je n’avais pas remarqué jusqu’ici. Il l’ouvrit et me montra son contenu. C’était une photo de maman et moi. Je ne devais pas avoir plus de quelques jours, et je remarquai aisément mes traits d’hybride. Ma peau était plus blanche et plus lumineuse que maintenant. J’avais de petites oreilles pointues et mes yeux, bleus aujourd’hui, étaient à l’époque de la même couleur dorée que ceux de mon frère… Si je n’appréciai pas celle que j’étais en tant qu’humaine, je dû cependant admettre que j’avais été un bien joli bébé. Je fus émue qu’Ethan partage cette photo avec moi. Il le remarqua et passa le médaillon autour de mon cou. D’un geste de main sur sa joue froide, je le remerciai pour ce cadeau.

- Cette fois, ça suffit. Tu as eu assez d’émotion pour aujourd’hui. Si tu as encore des questions, garde-les pour plus tard. Dors, je veille sur toi.

Le ton de sa voix ne laissait place à aucune négociation. Je m’emparai alors de la main de mon frère pour la serrer contre moi, et il ne me fallut qu’une seconde pour sombrer dans un lourd sommeil.

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